OPEX: comment endurcir un soldat pour le combat

Al Ciampa - Instructeur SFG
Al Ciampa, Instructeur SFG, responsable de préparation physique chez US Air Force

Quand Pavel m’a demandé de faire une contribution en écrivant un article, je me suis senti honoré.

Il me l’a demandé sur le forum dans une discussion sur la préparation d’unités de combat pour les montagnes afghanes. Puisque c’est plus ou moins quelque chose que je fais professionnellement, j’ai pensé exposer tout simplement une vue d’ensemble de ma philosophie et développer quelques idées présentes dans cette discussion.

Avant de parler entraînement laissez-moi partager avec vous ce que j’ai fini par considérer comme algorithme général du mouvement fondamental. Celui qui non seulement permet à l’élite des forces armées d’être plus performante mais qui marche tout aussi bien avec des civils déconditionnés qui font également partie de ma clientèle. Il n’y a ici rien de révolutionnaire mais j’ai vu cet algorithme apporter des solutions à un bon nombre de problèmes.

Le premier pas de la très convenable méthode militaire « Ramper, marcher, courir » est « ramper ». Ce sont Geoff Neupert et Tim Anderson, auteurs de « La Force Originelle » qui m’ont lancé là-dessus. Aujourd’hui, nous enseignons la respiration abdominale correcte et nous rampons pour la travailler. C’est très difficile d’utiliser la cage thoracique et la ceinture scapulaire pour respirer quand le haut du corps est dynamiquement chargé de cette manière.

Mettez-vous sur vos pieds et vos mains et rampez en avant et en arrière lors de votre échauffement. Pas besoin de longues distances mais la technique correcte est incontournable. Comme l’expliquent Geoff Neupert et Tim Anderson, gardez vos hanches près du sol, relevez votre poitrine et votre menton, déplacez les membres opposés simultanément et tâchez d’amener votre genou à l’extérieur du coude, aussi haut que vous le pouvez. Nos meilleurs « rampeurs » se déplacent très lentement et leurs membres bougent presque indépendamment du bassin et de la colonne vertébrale.

Ramper est (pour moi) un mouvement fondamental. Il accomplit en très peu de temps tout ce que les gens dépensent des heures à essayer d’accomplir : avec des bandes élastiques, des rouleaux en mousse, le stretching, les exercices de « mobilité », et encore des bandes élastiques… « En très peu de temps » – souvenez-vous de l’application militaire. Ces gars-là ont assez de choses pour s’occuper en dehors de la préparation physique.

L’étape suivante est le Relevé avec Kettlebell. Dès que vous avez appris à ramper (bien sûr, vous pourrez continuer à travailler les deux en parallèle) commencez à pratiquer le Relevé comme Pavel le décrit dans « Simple & Sinistre ». Exercez un contrôle total dans chaque position, passez d’une position à la suivante avec grâce et montez en poids au fur et à mesure que vos capacités se développent. Là où ramper « relie les quatre nœuds » (les articulations des épaules et des hanches), améliore la mobilité et offre le meilleur contrôle du corps, le Relevé fait la même chose sous une « charge lente ». Récemment, j’ai eu un pilote de l’Armée de l’Air d’1m 87 et 110kg, fort et musclé (il pratique la Force Athlétique) « écrasé » par un KB de 16kg lors d’un Relevé. Par ailleurs, il n’arrivait pas non plus à contrôler son corps et ses mouvements quand il rampait. Retourne en arrière et retape ton châssis !

Enfin, le Swing. Il prend votre mouvement, gracieux sous une « charge lente », et transforme la chair en acier par le « chargement balistique ». Comme avec le Relevé, référez-vous au livre de Pavel, ça m’évitera de répéter ce qui a déjà été dit.

Ces trois exercices n’ont pas besoin d’être strictement ordonnés. Mais si vous ne savez pas très bien ramper, passez-y un peu plus de temps et un peu moins à faire des Relevés et des Swings (et avec des poids plus légers). Si vous n’êtes pas gracieux dans vos Relevés mais que vous rampez assez bien, travaillez vos Swings avec des poids moins lourds pendant quelque temps. Vous serez surpris de voir à quel point ces trois exercices sont coordonnés et s’améliorent presque en même temps.

Très bien, passons aux choses sérieuses : le rendement… c’est le thème commun à toutes les applications militaires. Bien sûr, c’est époustouflant, tous ces exercices sexy parmi lesquels on peut choisir : de CrossFit à l’encyclopédie d’Arnold… mais si c’est superflu ou inutile, jetez-le.

Swings. Swings à un bras sont à exécuter comme décrit dans le « Simple & Sinistre ». Les Swings à deux bras devraient être faits avec une accélération supplémentaire. Voici ma version, extraite de mon manuel d’entraînement :

«  Un Swing correct est une « guerre » entre les deux chaînes opposées du corps : antérieure et postérieure. Les fessiers, les ischios et les quadriceps catapultent les Kettlebell vers l’avant, tandis que les dorsaux, les abdos et les fléchisseurs des hanches le « rattrapent » et le renvoient en arrière. Comprimez le « ressort postérieur », relâchez-le, comprimez le « ressort antérieur », relâchez-le, recommencez. Générez un maximum de tension dans la position « basse » et dans la position « haute » ; quand le Kettlebell est en « vol libre », restez « tendu – relâché ».

Projetez le Kettlebell vers l’avant depuis le « ressort comprimé » en position de flexion – restez connecté, rattrapez-le en position d’extension et renvoyez-le vers l’arrière. Comprimez le ressort en flexion et explosez à nouveau en extension. Répétez pour une série de 10. Vérifiez votre fréquence cardiaque. Wow!

La plupart des gens ont du mal avec ça quand ils débutent avec les Swings. Alors, « enregistrez » la forme du mouvement et soyez patient. Utilisez un poids approprié. Ma progression vers cette version très violente du Swing « accéléré » commence par le Swing « flotté », la version par défaut de la communauté Strong First. Il consiste en une extension explosive des hanches et la projection du Kettlebell vers l’avant mais sans l’arrêter pour le renvoyez vers l’arrière : pour un court moment on laisse le Kettlebell « flotter » en bout de sa course. Ensuite, on le guide vers l’arrière sans trop forcer. Ces Swings-là se concentrent sur la puissance de l’extension des hanches.

Il est important de travailler cette version initiale du Swing avant de commencer à les accélérer. Travaillez-les jusqu’à ce que le « programme » du mouvement soit « gravé » dans votre cerveau, environ 3-6 mois. Écoutez ceci : si vous incluez les Swings « accélérés » dans votre entraînement trop tôt, c’est-à-dire avant de pouvoir faire « flotter » votre Kettlebell avec grâce et puissance, sans trop y réfléchir, vous allez détériorer la mécanique de ces deux types de Swings et n’arriverez au mieux nulle part, au pire, à une blessure. Soyez patient, consacrez du temps à vos Swings « flottés » et commencez à inclure des Swings « accélérés » par petites doses au fur et à mesure que vous progresserez.

Un mot sur les “Relevés de buste”. Je ne cautionne pas leur travail régulier. En fait, vous devriez les faire uniquement le jour du test. Si les gens les faisaient correctement, il y a une possibilité qu’ils ne poseraient pas de problèmes. Néanmoins, la plupart des gens les font n’importe comment, surtout dans les conditions de test, alors même un peu de temps passé sous les drapeaux peut mener à une vie avec le dos en vrac.

 Les Relevés de buste placent les lombaires contre le sol et les utilisent comme point d’appui pour plier le corps en deux. Ce mouvement n’est pas naturel. Si vous faites cet exercice de la manière la moins dangereuse possible, c’est-à-dire en gardant le devant du corps « ouvert », en avançant à partir de la poitrine et en ne fléchissant que les hanches, alors le pire qui puisse vous arriver est probablement un coccyx endolori. Mais cette technique consomme beaucoup d’énergie et demande énormément de force alors la plupart de ceux que je supervise commencent par une flexion du tronc avant de continuer avec la flexion des hanches – et c’est là que réside le problème. Par conséquent, pour améliorer vos résultats dans les Relevés de buste, faites des Swings (plutôt lourds).

Utilisez les Swings comme décrit dans « Simple & Sinistre » mais avec une petite modification : 10 Swings « accélérés » à deux mains, ensuite 10 Swings à gauche et 10 à droite. Faites 3-4 séquences pour un total de 90-120 répétitions 3 à 5 fois par semaine. Moi, j’aime bien les faire même après une longue marche avec un sac.

La marche : vous ne pouvez pas contourner le « travail des longues distances » pour la capacité cardio-vasculaire et respiratoire. Du métabolisme des acides gras à la fonction mitochondriale, ces « portées chargées » sur de longues distances endurcissent votre corps et préparent votre physiologie pour votre futur environnement. Pavel parle d’une perte de poids « sans le déshonneur des aérobics » et je suis d’accord. Mais ne sortez pas cette phrase de son contexte : ici on se prépare pour un usage bien défini, on ne fait pas le con sur un tapis roulant en regardant un talk-show pour femmes.

Ce n’est pas clair si le travail de puissance (par exemple, les Swings) provoque à lui seul les changements des mitochondries qui contribuent à l’amélioration des capacités cardio-vasculaire et respiratoire (1). La consommation contrôlée des glucides n’offre pas ce genre de changements mais augmente l’efficacité de l’utilisation des acides gras. En revanche, nous savons que le « travail des longues distances » à des fréquences cardiaques basses (selon, par exemple Lydiard&Maffetone) augmente le volume et le rendement des mitochondries et donc, le niveau d’endurance (2).

Alors, pour obtenir cet effet on peut courir une certaine distance lentement ou bien, la faire en marchant rapidement avec une charge sur le dos. Accrochez sur vous un capteur de fréquence cardiaque et marchez avec un sac à dos. Ensuite, faites un footing. Comparez les résultats. Vous trouverez que ces deux formes d’effort produisent le même effet. Alors, pourquoi ne pas utiliser celui avec des bénéfices secondaires qui assureront que votre performance sera maximale dans l’environnement spécifique auquel vous faites face. Quand on doit évoluer dans les montagnes avec une charge sur le dos, il n’y pas de substitut à la marche pour un métabolisme des acides gras et la fonction mitochondriale efficaces.

Marches longues
Les marches longues, “exercice” militaire de base

Deux marches par semaine est le minimum. La première est courte, rapide et lourde ; la deuxième est plus longue, plus légère et plus lente. Utilisez la marche courte pour équilibrer vos systèmes glycolytique et oxydatif et pour préparer votre corps aux patrouilles chargées quotidiennes. Utilisez la marche longue pour « maintenir les flammes » du système oxydatif : gardez votre fréquence cardiaque basse et allez-y pour 5-6 heures.

Les Swings et les marches couvriront tous vos besoins basiques en travail de puissance, d’endurance et de différents systèmes énergétiques. Les Relevés lourds prendront en charge votre renforcement. Ramper comblera toutes les lacunes que vous pouvez avoir dans vos mouvements. Voilà le minimum.

Si vous avez le temps et les ressources : le Soulevé de terre, le Développé debout (utilisez un Kettlebell) et les tractions à la barre fixe. Procurez-vous un exemplaire du livre « Power to the People » de Pavel et faites de séries cadencées d’une répétition (les « singles »). Elles marchent très bien pour gagner en force et permettent d’économiser du temps : 2 à 4 fois par semaine, utilisez les poids appropriés ! Procurez-vous également le « Easy Strength » de Pavel et Dan John. Si vous avez un peu plus de temps, remplacez 1 ou 2 sessions de Swings par 5-10 minutes de C&J (« Clean and Jerk », Épaulé-jeté) ou de Snatches… ou lancez un dé comme dans « Les Secrets des Kettlebells ».

Une semaine d’entraînement pourrait ressembler à ceci :

Lundi:

  • Ramper
  • Soulevé de terre
  • Relevés avec Kettlebell
  • Swings

Mardi:

  • Ramper
  • Marche courte
  • Press
  • Tractions à la barre fixe

Mercredi:

  • Ramper
  • Soulevé de terre
  • Relevés avec Kettlebell
  • Swings C&J Snatches

Jeudi:

  • Marche longue (Jeudi est le jour de la marche longue… c’est la loi!)
  • Swings (en option)

Vendredi:

  • Ramper
  • Soulevé de terre Swings
  • Presses Relevés avec Kettlebell
  • Tractions à la barre fixe
  • Sprints: 10 x 100m 7 x 200m 5 x 300m 3 x 400m
  • Récupérez bien entre les efforts. Ne faites pas de sprints si vous choisissez les Swings plutôt que le Soulevé de terre.

La plupart des unités en préparation font 2 sessions par jour alors scindez les sessions ci-dessus en deux comme bon vous semble.

Stop, comment ça !? Pas de footings, de pompes, des Relevés de buste !? Écoutez, de toute façon vous n’allez pas faire beaucoup de footing en OPEX, alors ne tombez pas dans la rengaine de « On a toujours fait ça, alors on va continuer à faire ça » quand il s’agît de courir. Marchez et faites des sprints, ça vous suffira amplement.

Des Relevés de buste, on en a déjà parlé. Quant aux pompes, si vous n’avez pas de test de préparation physique prévu bientôt, ne perdez pas votre temps. Bon, il faut bien comprendre que les pompes sont un exercice bien spécifique et que si vous ne le pratiquez pas, vous ne serez pas capable de poster votre meilleur résultat lors du test. Mais vos Swings, vos Relevés avec Kettlebell et vos tractions maintiendront votre niveau suffisamment pour ne pas avoir besoin de beaucoup de travail avant le test. Pratiquez les techniques de « haute tension » de Pavel et les muscles sollicités par les Presses resteront en forme rien qu’en assistant les mouvements du programme. (Naturellement, il n’est pas utile de consciemment maintenir la tension pendant que vous rampez ou marcher ; il s’agît de la tension « réflexive »).

Voilà donc mon point de vue sur la préparation physique pour un déploiement en OPEX : minimaliste, applicable et efficace – appuyée aussi bien par la science que par l’expérience. Le Ramper est d’une importance critique. Le Swing est d’une importance critique. Le Relevé avec Kettlebell lourd est d’une importance critique. La marche est d’une importance critique. Pas spécialement dans cet ordre-là. Les différents programmes basés sur ces quatre exercices ont très bien marché pour moi et pour ceux que j’aide et conseille depuis plusieurs années.

Il va de soi qu’avant de vous engager dans un programme d’entraînement, vous devez apprendre la technique correcte de chaque exercice. Pour vous inscrire à une de nos formations techniques “StrongFirst Kettlebell Course” : CLIQUEZ ICI.

Et si vous souhaitez apprendre à enseigner ces exercices à vos élèves ou vos athlètes et devenir vous-même un instructeur StrongFirst, participez à notre première édition française du stage de certification d’instructeurs Kettlebells SFG 1.

Pour vous inscrire à ce stage de certification : CLIQUEZ ICI.

Références :

1) Hopeler, H., & Fluck, M. (2003). Plasticity of skeletal muscle mitochondria: Structure and function. Medical & Science in Sports and Exercise 35(1) 95-104.

2) Seiler, S., & Tonnesen, E. (2009). Intervals, thresholds, and long slow distance: The role of intensity and duration in endurance training. Sportscience 13(1) 32-53.


Al Ciampa pratique le powerlifting (la Force Athlétique) depuis plus de 25 ans; spécialiste du Développé couché, ses meilleurs résultats sont 275kg à l’entraînement et 267kg en compétition (le record de sa fédération à cette époque). Il a servi dans l’armée US d’abord dans les Forces Spéciales, ensuite comme directeur du programme de préparation au combat au corps à corps du contingent américain en Corée du Sud (« Modern Army Combatives Program »). Après la fin de son service, il a ouvert un centre de remise en forme spécialisé dans le renforcement et la nutrition aussi bien pour le public militaire que pour les civils. Aujourd’hui il travaille comme physiologiste d’exercice et éducateur santé pour l’Armée de l’Air des Etats-Unis et se spécialise en rééducation, renforcement, nutrition et préparation des instructeurs. Il a obtenu les diplômes de « Master of Science » en sciences de sports & santé ; SFG 1 (« StrongFirst Girya » Niveau 1) ; FMS (« Functional Movement Systems ») ; ACSM (« American College of Sports Medecine ») ; USAW (« United States of America Weightlifting », la Fédération américaine d’haltérophilie). Il a été « reconnu pour l’excellence » par le Secrétaire à la Défense, M. Chuck Hagel.

Où aller après "Simple"?