La préparation physique des cosmonautes

Le troisième article du Code StrongFirst est « la force a une plus grande raison d’être ». Chacun y donne son interprétation. Sauf que la « culture populaire » contemporaine nous gave avec une vision très particulière du monde, notamment, à travers des films d’action. Des films qui glorifient et embellissent la violence. Toujours justifiée, bien entendu, mais violence quand même. Alors, on a tendance à associer cette « plus grande raison d’être » de la force à la capacité de destruction. Mais qu’en est-il de la construction ? Qu’en est-il des efforts nécessaires pour bâtir ce que l’Incroyable Hulk « smashe » sans aucun remord ? Serait-ce possible que cette « plus grande raison d’être » soit plus créative que destructive ?

Il y a plus de 50 ans, sortait en URSS un petit livre intitulé « Vols spatiaux et la culture physique de la jeunesse ». Son objectif était de décrire, de manière accessible pour tous, les contraintes médicales des vols spatiaux pour donner à la culture physique de chacun une perspective plus large et à plus long terme. Quand on parle d’une « plus grande raison d’être » …

En voici quelques extraits.


Préparation physique des futurs cosmonautes
Le livre “Vols spatiaux et la culture physique de la jeunesse” de A. Y. Egolinsky, publié en 1967

L’homme et l’espace

« Parmi les plus grands scientifiques, plusieurs ont anticipé les succès de l’homme dans la conquête de l’espace. I. P. Pavlov [oui, celui-là même qui étudiait les réflexes conditionnés avec les chiens] écrivait :

« …Que l’homme conquière pour la vie et l’activité humaine non seulement toute la surface émergée de la planète, mais aussi les profondeurs de l’océan, mais aussi l’espace autour de la Terre ».

« C’est notre pays qui était le premier à réaliser la sortie de l’homme dans cet espace. Ce fut le résultat d’un énorme travail collectif des scientifiques, des ingénieurs et d’autres experts, tous réunis autour du même objectif. »

« À bord d’un vaisseau spatial, il y a un grand nombre d’appareils électroniques ultra sophistiqués. Malgré cela, l’homme continue à jouer un rôle capital. Le succès d’un vol orbital dépend de ses capacités et de son attitude. Il est donc très important que celles et ceux, courageux, qui souhaitent piloter les vaisseaux spatiaux possèdent non seulement des connaissances, mais aussi des capacités physiques et psychologiques nécessaires. »

« Il y a cinquante ans [le livre a été publié en 1967], I. P. Pavlov soulignait que le « réflexe d’objectif » joue un rôle primordial dans la vie d’un homme. Lors d’un vol spatial, ce qui compte pour un cosmonaute, c’est la solidité de sa motivation et les puissantes émotions positives qui lui fournissent une réserve d’énergie nécessaire. »

La culture physique

« La culture physique, le sport et l’exposition au froid ont une grande importance pour la santé, le renforcement physique et psychologique et le développement du caractère chez les jeunes. Voici quelques qualités que l’exercice physique peut développer :

  • Force musculaire, vitesse des mouvements et des réactions, agilité, différents types d’endurance.
  • Bonne posture, composition corporelle optimale, maîtrise du corps.
  • Capacité de travail, résistance aux différentes formes de stress externe et interne.

Dans le contexte de la conquête spatiale, ce dernier point a une grande importance, puisque l’individu physiquement entraîné sera plus stable face au froid, au manque d’oxygène et aux radiations. »

La préparation physique générale

« La culture physique comprend aussi bien la préparation physique générale (PPG) que spéciale (PPS).

La PPG prévoit l’utilisation de l’exercice pour le développement des principales qualités physiques :

  • Force musculaire
  • Vitesse des mouvements
  • Agilité et coordination
  • Endurance
  • Maintien de la bonne posture
  • Accoutumance à l’activité physique

La mission de la PPG consiste également à renforcer la résistance de l’organisme face à l’environnement hostile.

Parmi les exercices et les activités en question se trouvent :

  • Travail avec des poids
  • Course de vitesse
  • Exercices de la gymnastique
  • Exercices de l’athlétisme
  • Course longue distance
  • Ski de fond

En plus de l’exercice physique, la PPG compte dans ses moyens l’exposition aux éléments, notamment au froid. Elle permet de développer la résistance de l’organisme aux différentes formes de stress. »

La préparation physique spéciale

« La PPS permet de créer des capacités spécifiques aux différentes disciplines sportives. Elle permet également de développer les qualités de l’organisme importantes pour une activité particulière. Notamment, celle d’un cosmonaute.

Dans ce contexte, la PPS a pour but de préparer l’organisme aux conditions spécifiques dans lesquelles il pourrait se retrouver lors d’un vol. Notamment, les accélérations extrêmes, les vibrations, le manque d’oxygène, etc. »

« La PPS pour les vols spatiaux comporte les exercices qui ont, sur l’organisme, l’action semblable à ces conditions. Ce sont, notamment, les exercices (y compris, avec des équipements spécifiques) qui comportent :

  • Rotations de la tête et du corps
  • Changements rapides de la position du corps dans l’espace
  • Accélérations…

Ces exercices permettent de doser la charge et de la focaliser sur les parties du corps qui nécessitent un renforcement, sur le système cardiovasculaire ou sur l’appareil vestibulaire. »

Préparation physique des cosmonautes : Y. Gagarine et G. Titov
Youri Gagarine et Guerman Titov, les deux premiers cosmonautes soviétiques

La PPG des cosmonautes

« La préparation des cosmonautes comprend un système spécifique de l’entraînement physique. Elle se compose de la PPG et des entraînements spéciaux. La première assure le bon fonctionnement des principaux systèmes physiologiques de l’organisme. Notamment :

  • Cardiovasculaire
  • Respiratoire
  • Locomoteur
  • Vestibulaire

La PPG constitue la fondation pour les entraînements spéciaux. »

« L’une des missions principales de la PPG des cosmonautes est le développement de quelques qualités très importantes de leur système nerveux central : la force, l’équilibre, l’agilité, mais aussi la sensibilité des organes de perception. Les recherches ont démontré que la pratique des APS augmente la vitesse de perception visuelle de 50 à 100% et la vitesse de réaction motrice de 25 à 30%. Elle augmente également la capacité adaptative de la vue, de l’appareil vestibulaire. Enfin, elle accélère l’automatisation des réactions de l’homme lors de son travail avec les différents appareils et mécanismes. »

« Pour réussir sa mission spatiale, le cosmonaute doit développer son endurance et sa capacité de supporter des tensions élevées sur des périodes relativement longues. Mais il doit aussi pouvoir mobiliser toutes ses forces très rapidement. Il doit être psychologiquement et émotionnellement très stable, mais en même temps très réactif. Il doit combiner de façon harmonieuse toutes les qualités d’un sprinter et d’un marathonien.

Le futur cosmonaute développe ces qualités par un travail systématique des exercices fondamentaux et spécifiques. Ceux qui, notamment, sollicitent les systèmes respiratoire et cardiovasculaire, mais demandent en même temps une certaine agilité et une précision de mouvement. »

« Au cours des entraînements, il est également important de développer la capacité de l’organisme de fonctionner avec des ressources limitées en oxygène, en eau et en nourriture, et dans des conditions extrêmes (froid, etc.) »

La PPS des cosmonautes

« Lors d’un vol spatial, en état d’apesanteur, les cosmonautes bougent peu et dépensent peu d’énergie. Ces conditions sont favorables au développement des processus de « mise en hibernation » dans le système nerveux central. L’effort physique est alors très important pour maintenir l’état actif des deux hémisphères du cerveau, capital pour soutenir :

  • Tonus du système nerveux
  • Métabolisme
  • Fonction de la circulation sanguine
  • Capacité de travail optimale »

« On organise la PPS en prenant en compte les particularités du développement physique et le type du système nerveux de chaque cosmonaute. La PPS a pour mission :

  • Augmenter la résistance de l’organisme aux accélérations
  • Renforcer l’appareil vestibulaire pour préparer le corps à l’apesanteur
  • Développer la capacité de s’orienter dans l’espace et maîtriser son corps dans des positions inhabituelles
  • Augmenter la vitesse de réaction et la coordination entre les différents groupes musculaire pour assurer les activités spécifiques dans le vaisseau lors du séjour dans l’espace
  • Développer la force, la vitesse, l’agilité et la capacité de supporter une tension musculaire importante pendant des périodes prolongées
  • Développer la résistance psychologique à l’effort »
Préparation physique des cosmonautes : Andrian Nikolaev, le troisième homme dans l'espace
A. Nikolaev, le troisième cosmonaute soviétique, à l’entraînement

La PPS des cosmonautes : les accélérations

« Un entraînement spécifique des systèmes cardiovasculaire et respiratoire permet de mitiger l’effet de l’action mécanique des accélérations sur le corps. Pour cela, il faut notamment :

  • Développer la capacité du cœur et des vaisseaux sanguins de changer rapidement le régime de la circulation
  • Habituer l’appareil musculosquelettique, notamment les muscles des jambes et de la ceinture abdominale aux effort statiques prolongés
  • Préparer l’appareil respiratoire aux différents modes de respiration, notamment la respiration thoracique lorsque les muscles abdominaux se contractent

Il faut également développer la capacité de générer l’effort nécessaire dans les conditions d’hypoxie (le manque d’oxygène).

Bien entendu, le meilleur moyen de préparer le corps consiste à le soumettre fréquemment aux accélérations lors des vols d’entraînement. Malheureusement, en pratique cette option n’est pas la plus accessible. Il faut donc la compenser par une PPS appropriée. »

« Dans une certaine mesure, il est possible de contrer l’afflux excessif du sang vers le haut du corps lors des accélérations. Notamment, en développant la capacité de contracter fortement les muscles des jambes et de la ceinture abdominale. Cela permet d’augmenter la pression intra-abdominale et ainsi, préserver la distribution du sang plus proche de la normale lors des accélérations extrêmes. Mais il faut également apprendre à respirer lors de ce genre d’effort. Notamment, à travers la respiration thoracique, puisque dans ces conditions, la respiration abdominale/diaphragmatique risque d’être excessivement difficile. »

La PPS des cosmonautes : l’apesanteur

« La PPS doit préparer le cosmonaute à supporter les accélérations lors du lancement, des changements de trajectoire et du freinage de l’appareil, tout en préservant sa capacité de mouvement. Mais il doit être tout aussi à l’aise dans les conditions d’apesanteur. »

« Le système nerveux central a une grande capacité d’adaptation. Lorsque le corps se retrouve dans un nouvel environnement, le SNC est capable de modifier les réactions automatiques au niveau du cortex moteur. Mais la clé du problème est de faire en sorte que cette adaptation s’opère aussi vite et de façon aussi complète que possible.

Cela dépend de l’expérience motrice préalable et du niveau de préparation de l’individu. Si, lors de la préparation, les mouvements ont été trop simples, la création des nouveaux réflexes moteurs demandera beaucoup de temps et d’efforts. En revanche, si l’individu en question a suivi une bonne préparation, riche en différents mouvements, en maîtrise plusieurs formes et possède une coordination intra- et intermusculaire bien développée, son adaptation au nouvel environnement sera d’autant plus rapide et complète. »

La PPS des cosmonautes : l’hypoxie

« Le renforcement musculaire a une influence positive sur l’adaptation de l’organisme au manque d’oxygène. Cela s’explique par le fait qu’un travail musculaire suffisamment intensif crée naturellement dans l’organisme les conditions d’une certaine hypoxie/hypercapnie.

Dans ces conditions, le fait de continuer l’effort permet de développer la résistance de l’organisme à l’hypoxie de toute origine. Y compris, pour un cosmonaute, à l’hypoxie lors d’une éventuelle chute de pression dans la cabine de l’appareil. »

La préparation de Youri Gagarine

« Le premier homme dans l’espace, Youri Gagarine faisait sa PPG tous les matins, pendant 30-40 minutes. L’objectif principal était de faire travailler tous les groupes musculaires. En plus de cela, plusieurs fois par semaine, il suivait un programme de préparation spécifique. Le but principal de tout ce travail était « d’augmenter la réserve de résistance physique ».

D’après le cosmonaute n°1 :

« En plus de la volonté et de la résistance psychologique, un cosmonaute a besoin d’une grande endurance physique, d’une grande résistance à l’effort, d’une solidité à toute épreuve. Ces qualités ne sont pas innées. Nous devons les développer. Pour répondre à ce besoin, il faut oublier les « records personnels » trop spécifiques. La préparation physique doit être « généraliste ». Et encore un conseil, soyez attentifs à votre mode de vie, de repos, d’alimentation. Et ne stressez pas pour des bêtises ».

Youri Gagarine, le premier homme dans l'espace
Youri Gagarine, le premier homme dans l’espace

« Apprendre à utiliser de manière rationnelle les moyens de la culture physique pour un développement personnel, tant physique qu’émotionnel et psychologique, est la mission la plus importante du système de préparation physique des cosmonautes. »

Conclusion

Celles et ceux qui ont déjà suivi la formation « StrongFirst Kettlebell Course » ou le stage « Simple & Sinistre », pourront témoigner à quel point l’approche StrongFirst de la préparation physique générale répond aux besoins évoqués dans ce texte. Pas uniquement les besoins généraux, mais également les besoins spécifiques des cosmonautes !

Il y a plus de cent ans, le chercheur visionnaire russe, K. E. Tsiolkovsky disait : « La Terre est le berceau de l’humanité. Mais l’homme n’est pas censé passer toute la vie dans son berceau ». Ne serait-ce pas là, la « plus grande raison d’être » ?


* Remerciements à Marion Molinié, SFG 1, pour la relecture

"Simple & Sinistre" : tactique de progression