Le coût de l’adaptation

C’est grâce à sa capacité d’adaptation que l’espèce humaine a conquis la totalité (ou presque) de la planète. L’adaptation est également à la base du renforcement. Nous exposons notre corps au stress de l’effort physique pour qu’il puisse devenir plus fort (ou mieux conditionné) en s’y adaptant. Mais nous devons le faire intelligemment, sinon nous risquons de nuire à notre santé. Alors, que faire ?  C’est la question qui a servi de titre à plusieurs livres des philosophes russes du XIXème siècle. Dans l’article ci-dessous, pointu, mais très accessible, Pavel vous donne quelques pistes. En tout cas, en ce qui concerne votre santé physique.


Adaptation pour la santé : le premier objectif de la pratique physique
“All-Union Spartakiade des étudiants” 18-24 Juillet 1935, Moscou

Dans cet article, je vais d’abord revenir sur certains de mes écrits d’il y a quinze ans. Ensuite, je vais développer un peu plus le sujet de la santé et de la performance.

L’histoire de Bob

Selon le professeur Bayevsky, à n’importe quel moment, une grande partie de la population mondiale (50 à 80%) est dans un état donozoologique. Autrement dit, elle est à mi-chemin entre la santé et la maladie. Selon l’Académicien Nicolaï Amosov, ces gens ne sont en bonne santé que de manière précaire. A tout moment, leur environnement peut rompre leur fragile statut quo. Même lorsqu’ils se sentent bien, la moindre infection peut être potentiellement dangereuse. Non pas l’infection elle-même, mais les complications provoquées par l’effort qu’elle exige des systèmes de support de l’organisme. Il n’est pas rare qu’une personne meurt d’un arrêt cardiaque, alors qu’elle luttait contre une autre maladie.

Prenons l’exemple d’un homme d’âge moyen, que nous appellerons Bob. Disons qu’en état de repos, les tissus de Bob nécessitent 3,85 litres de sang par minute. Son cœur est capable d’en pomper au maximum 5 (ce sont les chiffres moyens). C’est son débit cardiaque maximal. Tout va bien jusqu’au jour où notre homme part en vacances en Amérique du Sud. Pas de bol, il y attrape la fièvre typhoïde. Ses demandes en énergie s’envolent. De ce point de vue, le combat contre une infection s’apparente à un intense travail physique.

La fièvre typhoïde double sa consommation d’oxygène. Maintenant, le cœur de Bob doit pomper 7,7 litres de sang par minute. Sauf que… son débit cardiaque maximal est seulement de 5 litres. Hélas ! Notre pauvre voyageur revient chez en soute à bagages, emballé dans un sac mortuaire. Il est mort à cause de la défaillance des systèmes de support, alors que l’infection ne les a même pas touchés. Si Bob s’était donné la peine d’augmenter ses réserves fonctionnelles, il aurait survécu.

L’adaptation et la quantité de santé

L’Académicien Amosov a créé le terme la quantité de santé. Il l’a définie comme la somme des réserves d’énergie des principaux systèmes fonctionnels. L’on mesure ces réserves d’énergie avec un coefficient de la réserve de santé. Il s’agit du rapport entre la capacité maximale d’un système et les demandes auxquelles il fait face au quotidien. Par exemple, la réserve santé du cœur de Bob était de 1,3 :

RS : 5 (le débit cardiaque maximal)/3,85 (le débit cardiaque habituel) = 1,3

Naturellement, pour améliorer votre quantité de santé, vous devez augmenter les réserves de vos systèmes fonctionnels : cardiovasculaire, respiratoire, musculaire etc. Il y a plus d’une centaine de paramètres mesurables. L’adaptation individuelle, c’est le développement graduel de résistance à un stimulus particulier de l’environnement. Elle permet à l’organisme de fonctionner dans les conditions qui, auparavant, étaient incompatibles avec la vie et relever les défis qui ne pouvaient être relevés jusque là (1). Autrement dit, l’adaptation est une question de survie.

L’adaptation a un coût

Le chemin vers la santé paraît donc simple. Entraînez-vous durement, augmentez votre quantité de santé et vivez heureux le reste de vos jours ! Si Bob était capable de nager non-stop une heure par jour, il aurait sans doute eu suffisamment de capacité cardiaque pour survivre à une fièvre typhoïde ! Certainement, mais tout en se rendant plus vulnérable à d’autres stresses…

Nombreux travaux soviétiques et russes, des années 1970 à nos jours, citent une étude sur des jeunes rongeurs. Les chercheurs les ont soumis à un régime intense de natation : une heure par jour pendant 10 semaines (2). Le poids de leur cœur a augmenté, alors que le poids de leurs reins et de leurs glandes surrénales a perceptiblement diminué, tout comme le nombre de cellules du foie. En d’autres termes, alors que l’entraînement a augmenté la capacité fonctionnelle du cœur, il a en même temps réduit la capacité de plusieurs organes internes !

Par la suite, les cobayes étaient mieux capables de survivre à des charges physiques extrêmes par rapport à leurs congénères non entraînés. En revanche, lorsque les tests mettaient à l’épreuve le foie ou les reins (à travers un changement de régime alimentaire, une augmentation de la consommation du sodium, etc.), les rats durement entraînés avaient un désavantage par rapport à leurs frères et sœurs fainéants.

Ce phénomène s’appelle le coût de l’adaptation (3). L’on peut définir ce coût en fonction des systèmes directement soumis au stress ou en fonction des systèmes non impliqués (4). L’objet de cet article est ce deuxième cas.

La guerre interne pour les ressources de l’organisme

Vous venez de voir l’exemple de ces malheureux rats. L’assiduité à la natation a rendu leurs reins moins résistants. Un autre exemple est le dysfonctionnement du système reproductif féminin, typique chez les jeunes filles athlètes de haut niveau. En particulier, dans les disciplines exigeantes sur le plan de la maîtrise du poids du corps, telle que la gymnastique. Encore pire, les muscles des jeunes gymnastes, qui s’entraînent dur tout en suivant un régime alimentaire strict, cannibalisent le tissu musculaire du cœur pour s’approvisionner en protéines !

Lorsque l’alimentation est restreinte, mais les demandes en énergie sont hautes, la compétition pour les ressources est féroce. Il y a des années, un chercheur soviétique a même proposé un traitement pour le cancer, basé sur ce fait. Il a suggéré de mettre les patients au régime, très bas en protéines, tout en les soumettant à un programme de musculation très intense. Selon sa théorie, le corps irait chercher de la protéine pour les muscles et alors, la tumeur serait sa première cible. D’après mes informations, pour l’instant, aucune étude n’a confirmé cette théorie, mais je garde l’espoir. Si vous connaissez un oncologue, passez-lui cette idée.

Revenons au sport. Lorsque vous décidez d’exceller dans un sport, vous devez vous rendre compte que cette décision n’a rien à voir avec la santé. Vous allez voler à Pierre (votre résistance aux maladies et votre capacité d’exceller dans d’autres domaines) pour payer Paul (votre discipline). Dans le sport de haut niveau, le corps fonctionne à la limite de ses capacités. Vous n’avez pas d’autre choix que d’engager toutes les réserves dans la bataille.

Objectif : la santé

Pour atténuer ces désavantages :

  1. Commencez avec des solides fondations en préparation physique générale (PPG).
  2. Évitez une spécialisation prématurée. L’adaptation négative dans les organes et les systèmes, qui ne sont pas directement éprouvés par un entraînement spécifique, est particulièrement prononcée dans les organismes immatures (5).
  3. Ne forcez pas le rythme de votre progression.

Lorsque vous choisissez la santé, ne cherchez pas de médailles olympiques, évitez une spécialisation trop focalisée et entraînez-vous avec modération. Souvenez-vous que ce sont les athlètes spécialisés et les travailleurs manuels des métiers les plus durs qui paient les coûts d’adaptation les plus hauts (6).

Les recherches soviétiques nous apprennent que l’entraînement sportif et la culture physique mènent chez les pratiquants à une diminution significative des maladies en général, ainsi que des blessures (7). Un scientifique soviétique de renom, le professeur Zimkin conclut :

« Les expériences sur les animaux et l’observation des sujets humains ont démontré que l’activité musculaire augmente la résistance non spécifique de l’organisme aux plusieurs formes du stress négatif dans les conditions de vie moderne, telles que l’hypoxie, certains poisons, la radioactivité, certaines infections, l’excès de chaleur, le froid, etc. Nous avons observé une diminution significative des maladies chez les gens qui s’entraînent pour un sport ou pratiquent la culture physique. »

Il continue en ajoutant que l’entraînement rationnel est ce qui apporte cette résistance (8). Les charges physiques modérées stimulent le système immunitaire (9).

Considérez ces quelques options qui combinent la force et la santé.

La force athlétique

Entraînez-vous et participez à des compétitions raw (sans équipement spécifique) et drug-free (sans utiliser les suppléments qui optimisent la performance) de force athlétique, mais sans essayer d’augmenter votre masse musculaire. C’est un fait que pour monter au niveau international dans cette discipline, un homme de 1 m 80 doit être très lourd. Or, il est évident que pousser son poids du corps jusqu’à 140 kg aura un coût d’adaptation très haut.

Faites une formation officielle StrongFirst Barbell (barre olympique), trouvez des partenaires d’entraînement fiables et puis, en avant !

Adaptation pour la santé : apprenez les exercices avec la barre olympique

Mais n’oubliez pas de vous occuper des autres qualités athlétiques, telles que l’endurance et la flexibilité. Consacrez deux jours par semaine au programme Simple & Sinistre. Faites quelques étirements et exercices de mobilité, tous les jours ou presque. Enfin, tout aussi important, ne négligez pas les activités en plein air. Faites des randonnées, nagez, jouez, etc. Avec modération ! Le fait de courir d’un bout à l’autre du Grand Canyon se fera rembourser sur vos résultats en force athlétique et sur votre santé.

Les arts martiaux

Étudiez un art martial. Prenez des cours trois à cinq fois par semaine. Faites-vous plaisir sans ambition de devenir un champion ou un grand maître. Trois fois par semaine, faites un entraînement du genre Easy Strength. Prenez des cours de yoga les soirs sans combats. Lavez-vous à l’eau froide. Et n’oubliez pas le plein air.

Les exercices avec le poids du corps

Familiarisez-vous avec les concepts de tension et de synergie lors d’une formation officielle StrongFirst Bodyweight. Maîtrisez les bases. Fixez-vous des objectifs simples, mais ambitieux, tels que les pompes sur une main et un pied. Ensuite, mettez la barre plus haut avec, par exemple, le Front Lever ou les pompes en équilibre sans appui.

Faites Simple & Sinistre tous les jours pour vous conditionner et développer la puissance du dos, des hanches et des jambes. Prenez les étirements aux sérieux et travaillez progressivement vers le grand écart. Comme avec les deux autres options, les activités de plein air ne sont pas négociables.

L’adaptation et le libre arbitre

Puisque les ressources de votre corps sont limitées, vous devez choisir comment les allouer. Il n’y a pas qu’une seule bonne réponse. Vous avez X euros sur votre compte. Que faire ? Acheter un nouveau canapé ou prendre des vacances? Choisir les deux et prendre un crédit ? Ou acheter un canapé bas de gamme et prendre des vacances plus courtes ?

Exercez votre libre arbitre.

Pour conclure

Il va de soi qu’avant de vous engager dans un entraînement, vous devez apprendre les bases. C’est l’objectif de nos formations techniques :

Vous n’êtes pas encore sûr quelle option choisir ? Alors, venez découvrir notre école lors de l’Open Day StrongFirst France et ses cours d’initiation (la prochaine édition aura lieu au mois de Décembre 2023).

En revanche, si vous vous entraînez depuis longtemps et souhaitez désormais partager votre expérience avec d’autres passionnés, nous pouvons vous enseignez la meilleure manière de le faire lors de nos certifications :

En tous cas, quel que soit votre choix, n’oubliez pas de rester raisonnable et de prioriser la santé et la force à long terme.


Références :
(1) Meerson & Pshennikova, 1988
(2) Vorobyev, 1977; Bloor et al., 1968
(3) Koberg, 1997
(4) Slonim, 1979; Kamskova, 2004
(5) Platonov, 1988
(6) Volkov, 2000
(7) Rosenblat, quoted in Zimkin, 1975
(8) Zimkin, 1975
(9) Yakovlev et al., 1990

Pratique « délibérée » et l’inefficacité des stratégies avancées